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Officium Transfigurationis

















Office clunisien pour la fête de la Transfiguration
Pierre le Vénérable (1092-1156)




Programme
du
concert


I. – AU COUCHANT ~ 1ères VÊPRES

O Sator rerum......................................................................................hymne des premières vêpres
Le Christ, vraie lumière

II. – AU MILIEU DE LA NUIT ~ MATINES

Assumens Jesus.....................................................................................................répons de Matines
La lumière qui éclaire la nuit de la Passion
Primogenitus prodii..............................................................................................répons de Matines
Le Christ, créateur de la lumière au premier jour du monde
Hodie in monte......................................................................................................répons de Matines
La voix du Père
Videns Petrus.........................................................................................................répons de Matines
Vision de béatitude

III. – AU LEVANT ~ LAUDES

Accessit..................................................................................................les cinq antiennes de laudes
Ut testimonium
Lex per Moysen
Descendentibus illis
Celi aperti sunt

Tribus dscipulis & Benedictus..................................l’antienne et le cantique du Benedictus
La mort et la résurrection

IV. – AU SOLEIL ASCENDANT ~ LA MESSE

Illuxerunt...................................................................................................................antienne d’Introït
La lumière qui a créé le monde
Kyrie...................................................................................................................................trope de kyrie
lumière trinitaire chantée 3 fois 3 fois, dans l'écho des 9 chœurs angéliques
Speciosus forma...........................................................................................................répons graduel
Le plus beau des enfants des hommes
Fulget mundo celebris...........................................................................................................séquence
La lumière incréée brille sur le monde
Improvisation...........................................................................................................................organetto

Sanctus.........................................................................................................................trope de Sanctus
Le Dieu trinitaire dans la permanence de son être Saint

V. – AU COUCHANT ~ VÊPRES

Sicut unius.....................................................................................................................................répons
Baptême et transfiguration
Hodie pater....................................................................................................................................répons
Le Fils Bien-Aimé
O nata lux de lumine..........................................................................hymne des secondes vêpres
Lumière de lumière











Présentation
du
programme
En ce temps-là, Jésus prit avec lui Pierre, Jacques et Jean, son frère, et les emmena à l'écart sur une haute montagne. Et il fut transfiguré devant eux; son visage resplendit comme le soleil, et ses vêtements devinrent blancs comme la neige. Et voici que leur apparurent Moïse et Élie, qui s'entretenaient avec lui. Pierre, prenant la parole, dit à Jésus : « Seigneur, il nous est bon d'être ici; si vous le voulez, dressons trois tentes, une pour vous, une pour Moise et une pour Élie. » Il parlait encore, quand une nuée lumineuse les prit sous son ombre, et une voix dit, de la nuée : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé; en qui j’ai mis toute ma complaisance : Lui, écoutez-le. A ces mots, les disciples tombèrent la face contre terre et furent saisis d'une grande frayeur. Mais Jésus, s'approchant, les toucha et leur dit : « Levez-vous; ne craignez point. » Levant alors les yeux ils ne virent plus que Jésus seul. Comme ils descendaient de la montagne, Jésus leur fit cette défense : « Ne parlez à personne de ce que vous avez vu, jusqu'à ce que le Fils de l'homme soit ressuscité d'entre les morts. »
Matt.17, 1-9




La Galilée

Deux réalités pourraient symboliser à elles seules l'Occident chrétien du 12e siècle : le monachisme, avec notamment Cluny et Citeaux, et la croisade, suscitée par l'appel au secours de l'Orient auquel le Pape finit par céder. Or derrière ces deux réalités, qui cachent chacune son épopée, apparaît une notion qui les réunit profondément : l'humanisme mystique de l'âge roman. De fait le 12e siècle a eu la passion de l'humanité… - l'humanité de Dieu, cela s'entend ! C'est Jésus-Christ que l'on va chercher dans le secret des cloîtres, comme en Palestine. De fait, la Terre Sainte, le pays de Jésus vers lequel on se croise, est ce relais plein du souvenir vibrant de l'humanité de Jésus, cette humanité qui conduit au Ciel, tout comme "la Galilée", dans l'église de Cluny, est cette avant-nef (entre le narthex et la nef) qui permet de passer de ce monde à celui de la louange ineffable et des choses saintes. L'humanité de Jésus, voilà l'archétype de la sainteté, le modèle de tout épanouissement humain, et la dynamique même d'un fabuleux élan artistique dont Cluny sera le porte-parole exemplaire. De fait, autour du sanctuaire clunisien, tous les arts vont merveuilleusement épanouir leur jubilatoire beauté. Il ne s'agit pas de nier la nature, mais de la sauver et de la déployer; et pour cela il convient que le corps lui-même suive l'âme en accomplissant son œuvre propre jusque dans les stalles de la louange éternelle. Il faut si bien qu'il tienne son rôle, que quelquefois même il devra la précéder de son délicat et contraignant réalisme, car le corps a lui-même une sagesse que l'âme a oubliée. C'est cela, que la route de Jérusalem apprend patiemment au pèlerin du Saint-Sépulcre, que le travail enseigne chaque jour au moine, et que l'art de la pierre, de l'enluminures, de la fresque, du vitrail, de la louange…vient ajouter en abondance au chœur de la prière contemplative. La sainteté de Jésus-Christ, voilà l'humanisme radieux de ce 12e siècle !


Le Thabor

Parmi les lieux rendus aux chrétiens par les croisés, il en est un symbolique entre tous de cette humanité radieuse : le Mont-Thabor. Le site, au sud de Nazareth à environ 70 km de la mer de Galilée, est d'une douceur inouïe, surplombant la vallée de Jizreel avant le désert de Judée. Très naturellement, les croisés offrent le lieu qui est décentré, surélevé, proche du ciel, où seule la contemplation doit régner…, à la garde spirituelle des moines bénédictins. Pierre le Vénérable est alors abbé de Cluny, et il reçoit le patronage du Thabor – mais plus encore que le patronage, il en reçoit la lumière et la joie ! Sur le Mont-Thabor désormais retentira la même louange et s'établiront les mêmes observances qu'à Cluny la grande, et Cluny va en recevoir le rayonnement mystique. Pierre le Vénérable se met en effet à composer un office pour célébrer la Transfiguration du Seigneur. En Orient la Transfiguration était fêtée au 6 août "depuis toujours". L'Occident en revanche, à quelques exceptions près, ne connaissait pas encore de fête propre. Le doux passage évangélique de l'événement du Thabor était jusque là relaté et chanté au deuxième dimanche de carême, comme une étape lumineuse et nécessaire vers le mystère de la Passion et de la Résurrection. Pierre le Vénérable, empruntant à l'Orient, institue pour son Ordre la fête du 6 août comme devant être tenue "parmi les fêtes les plus importantes après Pâques et la Nativité, et célébrée avec autant de solennité que la Purification de Notre-Dame".


Epiphanie liturgique

Le contexte de la fête de la Transfiguration est si riche - il y aurait tant à voir ! - qu'il pourrait nourrir le projet contemplatif de toute une vie de moine. De fait, tout l'Evangile y est contenu, et Pierre le Vénérable y a trouvé l'objet d'une méditation aux reflets infinis, allégorie elle-même de l'art liturgique dont Cluny est alors le symbole.

D'abord la date du 6 août arrive sept mois exactement après la fête de l'Epiphanie au 6 janvier. L'Epiphanie, triptyque de la manifestation du Seigneur, était la fête liturgique par excellence, avec l'adorations des rois, avec le baptême du Christ dans le Jourdain, avec enfin le premier miracle de Jésus aux noces de Cana. Sept mois plus tard, (le chiffre 7 représente l'accomplissement de la plénitude du temps), cette même "manifestation du Seigneur" est vue désormais depuis le Royaume. Les rois sont alors trois disciples prostrés, tandis que la voix du Père répète sur le Thabor la  pleine complaisance du Jourdain, et que l'eau devenue vin ressemble à ce corps opaque de l'homme-Dieu devenu pure lumière et induisant au cœur de Pierre l'ivresse contemplative : faisons ici trois tentes !


La lumière

Il y a ensuite le motif de la lumière elle-même, image la plus apte peut-être à dire le mystère de Dieu : diffuse, invisible et éclairante, insaisissable et chaleureuse; lumière qui éclaire et éblouit, lumière qui apaise et irradie, lumière qui se lève tous les matins "sur les bons comme sur les méchants", lumière qui luit au milieu des ténèbres et qui scande, à travers ascension et déclin perpétuels, les Heures de la vie monastiques. La liturgie fait resplendir toute la création du miroir de cette lumière incréée en prenant comme symbole essentiel le soleil dont elle se fait l'allié le plus familier et quotidien.

Témoins oculaires

Il y a encore Moïse et Elie…, la Loi et le Prophète, les seuls hommes qui, depuis la création du monde ont jamais vu Dieu. Avant de lui confier la libération d’Israël en effet, Dieu apparut une première fois à Moïse au milieu du buisson ardent. Il lui dit : "C’est moi le Dieu de ton Père, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob. Alors Moïse se voila la face, dans la crainte que son regard ne se fixa sur Dieu (Exode 3, 6). Plus tard Moïse dit à Dieu: “Faites-moi, de grâce, voir votre gloire." Et Dieu lui répondit: "Je ferai passer devant toi toute ma splendeur et prononcerai devant toi mon Nom." (Exode 33, 18-19). Moïse l'aura alors vu comme de dos, avançant vers la Rédemption à venir.

Un seul prophète a partagé ensuite la faveur de Moïse, c’est Elie qui, lassé de l’infidélité des siens, s’enfuit à l’Horeb, sur les pas de Moïse, et y rencontre Dieu qui prend l’initiative de lui apparaître, annoncé par le bruit d’une brise légère (1 Rois 19, 9-18). La fidélité à l’Alliance conclue entre Dieu et Moïse est confiée à la responsabilité des prophètes, ceux- ci devront l’expliquer au gré de l’histoire. Il se trouve donc que ces deux héraults de l’Ancien Testament, la Loi et le Prophète, parlaient avec le Christ de la Passion à venir dans quelques jours comme du terme et du sommet de  toute l’Histoire Sainte.

Enfin, la suite du récit montre le bonheur des apôtres prêts à dresser des tentes pour retenir cette vision qui les remplit de joie. Et voici qu’ils furent pris dans la nuée de la présence divine pour entendre la même voix qui avait déjà déclaré au baptême du Christ: “Celui-ci est mon fils bien-aimé, écoutez-le.” Plus tard s. Jean et s. Pierre témoigneront qu’ils ont vu sa gloire pendant qu’ils partageaient sa prédication. Pierre revendiquera l’autorité de son témoignage en précisant qu’il a été “témoin oculaire de la majesté du Christ”, qu’il a entendu la déclaration du Père, et il ajoutera: “Cette voix nous, nous l’avons entendue, elle venait du ciel, nous étions avec lui sur la montagne sainte.” (2 Pierre 1, 16-18). S. Jean résumera ce témoignage en reconnaissant: “de tout être il était la vie, et la vie était la lumière des hommes et la lumière luit dans les ténèbres et les ténèbres ne l'ont pas reçue.” (Jean 1, 4-5)

Enfin le récit s'interrompt par la brusque disparition de la théophanie “ils ne virent plus que Jésus seul”, et c’est en descendant de la montagne que celui-ci leur annonce plus précisément les détails de sa passion, tout en leur interdisant de parler de cette vision avant qu'il ne soit "ressuscité d'entre les morts".


Liturgie contemplative

Assurément la vision du Mont Thabor condense à elle seule tout le mystère liturgique qui caractérise la vie du moine clunisien : ascension sur la montagne de solitude, écoute de la Parole divine, vision, adoration, béatitude… dont l'Epiphanie ne faisait que placer les prémices de manière très explicite : Foi, baptême et noces mystiques. Il y aurait tant à dire, si bien que Pierre le Vénérable ne dit rien … rien de plus que l'évangéliste. Quelle leçon monastique dans cette économie ! Il ne dit rien de plus, mais il répète inlassablement, sur tous les tons, les mots avec lesquels l'évangéliste raconte la scène, les agençant simplement en fonction de l'angle choisi pour tel ou tel répons, telle antienne, à tel office, pour tel moment de la journée, suivant que le soleil monte vers l'abside de l'église de Cluny ou qu'il redescend vers le narthex. Ce qui nourrit la contemplation, assurément tient en quelques mots, mais il faut que ceux-ci soit chantés et que le cœur en déchiffre la lettre. La parole, ici, n'est qu'un prélude à l'amour!

Que dire de ce chant alors? Ce qui frappe, dans ces compositions de Pierre le Vénérable, ce sont les enluminures. Ce chant "grégorien" est très orné, et en cela il est bien de ce jubilatoire 12e siècle : humanisme fervent à l'égard de l'humanité de Jésus, joie lumineuse, enthousiasme eschatologique, confiance paisible et action de grâce. Pierre le Vénérable est tout sauf austère. Pourquoi le serait-il, alors qu'il est sur le Thabor? Aussi, il déploie sans calcul des mélismes infinis, il s'installe dans la contemplation, il plante trois tentes et ne cesse de broder une dentelle de dorures sur les mots qui l'arrêtent et retiennent son cœur : sur ostendit parce que celui-ci veut dire que Jésus leur montra sa gloire; sur Heliae parce que la tente du moine Elie mérite, plus encore que celle du légiste Moïse, que le contemplatif s'y installe; sur bene parce que ce petit adverbe qui a l'air de rien veut dire que le Père s'y est bien complu - en plénitude - ce qui passe une compréhension trop humaine du mystère théologique – il s'y est complu parfaitement !


Fils de lumière

C'est d'ailleurs cette dernière parole – celui-ci est mon fils bien-aimé en qui je me suis bien complu – qui, sertie comme une clé de contemplation au cœur de l'office, résume toute la fête. L'office de Pierre le Vénérable est une théophanie (manifestation de Dieu) racontant le mystère de l'incarnation du Verbe et de sa filiation éternelle, théophanie qui ne peut-être envisagée qu'après la Passion et la Résurrection, c'est-à-dire dans l'actualisation de la liturgie, dont l'Esprit-Saint est le grand artisan tout au long des siècles et qui est toute la vie du moine à Cluny. Cette vie n'a qu'une fin : reproduire le Mystère extatique de la vie du Seigneur tel qu'il a réellement et historiquement eu lieu, là-bas, en Palestine, et ramenée à l'ici et maintenant de la vie du baptisé - de la grâce! Et précisément parce que la Passion et la Résurrection ont eu lieu dans le lieu et le temps, cette transfiguration est désormais possible en transcendant les limites du temps et du lieu. La liturgie à chaque heure redéployée, selon son ordre propre et son agencement savant de formules, de mélodies, de senteurs, de couleurs… sous les voûtes grandioses de l'église la grande, est une louange infinie qui établit sans restriction l'âme de l'orant dans l'extase du Thabor. Le temps y est transfiguré sur le bras horizontal de la croix, avec à droite Moïse et à gauche Elie entre lesquels le Christ est la convergence fulgurante de l'Histoire. L'enfermement du lieu de même est transcendé sur le montant vertical, tandis qu'entre le sommet de la croix et sa base, le Seigneur Jésus-Christ scelle l'amour d'intimité entre son Père des cieux qui se penche éternellement sur ce Fils de complaisance, et un fils qui s'élance, à travers toute l'Histoire des hommes (Alpha et Oméga), vers lui, le Père : "Ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé et d’accomplir son oeuvre." (s. Jean 4. 34).

Pour cela, le moine, ayant renoncé à tout, et tandis qu'une civilisation de merveilleuses beautés humaines s'épanouit dans le rayonnement de sa joie surnaturelle, ne cesse de chanter, à chaque heure du jour et encore au milieu de la nuit, la seule beauté qui puisse le ravir : celui-ci est le Père bien-aimé, en qui j'ai mis  toute ma joie !





©  Bertrand Décaillet



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