Leçons de Matines des défunts de Cristobal de Morales (1500-1553) Messe de Requiem de Clemens non papa (1510-1557) pièces grégoriennes de l'office des défunts |
Programme
du concert |
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Subvenite.................................................................................................................................
grégorien
Répons
LES MATINES DES MORTS Regem cui omnia...............................................................
Cristobal
de Morales (c.1500 – 1553)
Invitatoire Dirige Domine – Convertere Domine – Nequando rapiat..................................... grégorien les 3 antiennes du 1er nocturne Parce mihi, Domine........................................................................................ Cristobal de Morales Leçon I Credo quod Redemptor ..................................................................................................... grégorien Répons I Taedet animam meam.................................................................................. Cristobal de Morales Leçon II Qui Lazarum ......................................................................................................................... grégorien Répons II Manus tuæ......................................................................................................... Cristobal de Morales Leçon III Domine quando veneris..................................................................................................... grégorien Répons III LA MESSE DES MORTS Requiem aeternam............................................... Jacobus
Clemens "non papa" (c.1510-1557)
Introït Kyrie ........................................................................................................................... Jacobus Clemens kyriale Requiem aeternam............................................................................................................... grégorien Répons graduel Absolve Domine .................................................................................................... Jacobus Clemens Trait Dies irae................................................................................................................................... grégorien Séquence Domine Jesu Christe ............................................................................................. Jacobus Clemens Offertoire Sanctus....................................................................................................................... Jacobus Clemens kyriale Agnus Dei.................................................................................................................. Jacobus Clemens kyriale Lux æterna................................................................................................................. Jacobus Clemens Communion |
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Présentation
du programme |
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Ardente et transparente agonie des
feuillages : le baiser du
soleil après la morsure du gel. Puisse notre mort ressembler à celle
des
feuilles d'érable : se laisser successivement briser par la
douleur et
transfigurer par la grâce…
Gustave Thibon
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La vie n'est pas enlevée, mais changéeLe contexte démarqué de l'office pour la délivrance des âmes des défunts, dont l'occurrence liturgique épouse le flamboiement automnal, a été le lieu d'une pertinence particulière de l'art. C'est que la mort, probablement, est le porte-parole le plus implacable de l'invisible Evidence… Placez en face de celle-là la transparence lumineuse des polyphonies du 16e siècle d'une part et la confiance paisible et véhémente des immémoriales mélodies grégoriennes d'autre part, et vous obtiendrez l'alchimie toute de nuances de ce programme de concert.
C' est pourquoi en entendant les poignantes leçons de Job telles que l'office des morts de Cristobal de Morales les chante, ou encore le prégnant Agnus Dei du Requiem de Jacobus Clemens, il semble que l'on perçoive peu à peu derrière les musiques, et néanmoins distinctement, le murmure explicite de ce que saint Jean de la Croix écrit au terme du Cantique de l'âme : "Je me tins
coi et m'oubliai,
J'inclinai le visage sur l'Aimé; Tout cessa et je m'abandonnai, Laissant mon souci Parmi les lys, oublié." L' image nuptiale a rejoint ici la description de la redoutable mort. La vie terrestre n'est plus perçue que comme "un souci" qui nous distrayait encore de l'Aimé, et qu'on aura simplement fini par oublier, un jour, "parmi les lys". Les Matines des défunts de Cristobal de MoralesCristobal de Morales est le premier compositeur espagnol dont la notoriété, de son vivant, s'est répandue dans toute l'Europe, et même au-delà, puisque l'empire de Charles Quint s'étend au nouveau monde. Le compositeur Juan Vazquez (c.1510- c.1560), à l'époque où les peintres inventent le clair-obscur, a dit de lui qu'il était "la lumière de l'Espagne en musique". Morales a été successivement Maître de chapelle à Avila (1526 à 1530), puis, grâce à l'intérêt que lui témoigne le pape Paul III, ténor à la chapelle pontificale à Rome dès 1535. De retour en Espagne en 1545, c'est à Tolède qu'il officie comme Maître de la cathédrale jusqu'à sa mort. On ignore tout des circonstances de composition des pièces de l'office des morts, probablement composées après le retour en Espagne. On sait en revanche que dans la lointaine ville de Mexico, lorsque, en novembre 1599, il fallut choisir la musique pour les honras de commémoration de la mort de Charles Quint, ce fut cet office de Morales qui fut choisi. Francisco Cervantes de Salazar, professeur de rhétorique à l'Université de Mexico, raconte l’évènement : "Une fois que tout avait été exécuté avec grand apparat, et après que tous les dignitaires se furent assis, la veillée commença ainsi : le maître de chapelle dirigea deux chœurs lors de l'invitatoire, l'un chanta Circumdederunt me et l'autre chanta le psaume Exultemus, composés par Cristóbal de Morales et interprétés polyphoniquement. La veillée commença avec tant de dévotion et avec des voix si exquises que les esprits de toutes les personnes présentes étaient transportés." Les leçons de Matines de Cristobal de Morales forment un joyau tout à fait particulier et inhabituel dans le répertoire. En principe les leçons, quelle que soit d'ailleurs leur occurrence liturgique, ne constituent pas un genre qui se prête au développement musical, puisqu'il s'agit de simples lectures de l'Ecriture Sainte, "récitées" recto tono par un lecteur. Le sobre motif musical de ces lectures liturgiques – d'ailleurs très beau – est réduit à la seule fonction déclamatoire. Ce qui compte ici, c'est d'entendre la parole de Dieu telle que l'Ecriture la livre, la "musique" ayant pour unique fonction de porter la voix et souligner la prosodie. Aussi la plupart du temps, ce ne sont pas ces leçons qui ont motivé les compositions des polyphonistes, mais bien les répons qui leur font directement écho dans le déroulement liturgique et dont la fonction, après la densité discursive de la lecture, est justement de déployer la louange et prendre le temps de l'intériorisation. Morales en mettant en polyphonie non pas les répons mais les leçons, affirme très clairement le projet de ne pas "faire de la musique" mais de faire uniquement – nous pourrions même dire exclusivement – entendre un texte. Quel est donc ce texte ? Les leçons de l'office des morts empruntent au livre de Job, cet homme juste que Satan a sollicité pour le tenter au-delà de l'imaginable. Voilà un livre de l'Ecriture qui est difficile, violent, et qui, face à la rigueur de la mort, redouble de puissance. Voilà le motif de la désespérance et le scandale de la mort inacceptable. Face à l'exigence d'un tel texte, Morales n'a pas voulu faire diversion. C'est si vrai, que la forme "polyphonique" dont il use n'est qu'un tissu déclamatoire homophone des plus simples, bien que les couleurs y soient savamment déployées. Morales s'efface et, s'inclinant, il affirme avec force que ce n'est pas tant le polyphoniste, mais Job qu'il faut écouter ici ! Et que dit Job ? Job crie sa révolte, son dégoût, sa stupeur. Nous sommes face à la transcendance, et la transcendance se donne dans la violence parce que l'homme est trop à l'étroit pour étreindre le baiser de l'Infini. Job pleure, Job crie, Job désespère, Job tend le poing vers le ciel. Face au cadavre froid de l'être cher, nous le savons bien, il n'y a que Job qui ait les mots justes. Voilà l'homme - Ecce homo ! Et l'homme crie que cela, si Dieu était, ne serait pas, ne pourrait pas être. Dieu n'a pas pu permettre cela … Dieu ne serait donc pas ? La Transcendance est inadmissible, humainement inadmissible en effet. Mais l'homme n'est pas tout. Job, malgré les mots de la révolte et la violence… ne perd pas l'espérance. S'il est le plus commun des hommes dans l'universalité de son cri, il est aussi la figure du plus exceptionnel des hommes, l'homme unique entre tous, l'homme-Dieu. Job, à l'endroit même de sa déchéance et de sa révolte, c'est le Christ des douleurs, celui qui se prend à dire dans une incroyable entorse métaphysique, alors que la mort de toute part lamine sa divinité : Père, pourquoi m'as-tu abandonné ? Ce "pourquoi", voilà Job ! Pourquoi le Christ meurt ? Pour quoi? Dans cette question suspendue à la jointure du temps et de l'éternité, le choix du livre de Job au cœur de l'office nocturne des morts, apparaît d'une beauté inégalée. Le Christ est mort pour deux raisons : pour le péché et c'est la cause efficiente ; et pour ressusciter, et c'est la cause finale. On s'exclame alors, et sans tomber le moins du monde dans l'optimisme béat de certaines "spiritualités" infantiles qui nient la violente réalité du cri de Job devant le cadavre, on s'exclame alors – mais c'est à une autre profondeur désormais – ô heureuse mort ! Oui, heureuse mort, qui a enfin permis de dire dans la chair même de Job, de quoi est faite la Transcendance – et qu'elle est faite de la brûlure d'amour et de Vie. Il fallait l'arrogance de l'inadmissible, pour enseigner cela à l'homme. Il fallait que Dieu meure, pour que l'homme puisse accepter …de ressusciter. Car si nous rejetons spontanément la mort avec la violence de la révolte lorsqu'elle est l'émissaire du péché (cause efficiente), nous finirons en revanche par lentement l'accepter, voire même la désirer, lorsqu'elle devient l'émissaire de la Vie (cause finale) : si le grain ne meurt et ne tombe en terre… Doucement, lentement, et avec tant d'humanité, le Christ est venu rechercher ce visage qui, dans la violence du cri, s'était muré dans la poussière et les larmes, et qui ne voulait plus rien entendre, plus rien savoir. Lentement, doucement, l'index de sa main cherche le menton du visage détourné, pour le retourner. Le menton résiste, un peu, c'est que la nuque est raide et froide. Il ne faut pas hâter le geste, il faut l'accompagner lentement, longuement. L'éternité prend le temps de l'accompagner, elle patiente avec Job, le temps d'une vie s'il faut. Elle épouse la violence même, elle emprunte même les mots de sa révolte jusque dans sa liturgie, elle va jusqu'à produire Job en exemple, en signe, un signe de contradiction certes. C'est dire à quel point la Foi non seulement ne renie rien de la douleur humaine et du cri de Job ! Pour tout dire, elle va même jusqu'à en mendier le dernier retranchement. Sans nier la violence métaphysique de la mort, le Christ l'épouse jusqu'au tombeau, si bien que la croix est devenue son signe, son heure, son rendez-vous. Et comment cela ? C'est que prenant le temps, trois jours durant, il est venu lui-même, en chair et en os, dans le cellier du Cantique, afin de substituer à l'inadmissible cause efficiente, la radieuse cause finale. Et voilà que le visage s'est laissé reconduire par le doigt de la Transcendance posé sur le menton qui a bu les larmes et la poussière ; la mort est devenue le pivot de la Joie. Sur le Thabor, alors, la poussière s'est mise à danser dans le Soleil. |
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© Bertrand Décaillet | ||||
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